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Sanoussi
Tambari Jackou est donc décédé le lundi 18 juillet 2022 à Niamey. Paix à son âme ! Hélas, ce natif de Kornaka mort à 82 ans, laissera un grand vide, au propre comme au figuré. Car, celui qui vient de rendre l’âme n’a laissé aucun Nigérien indifférent : il a fait pleurer de joie certains, les plus nombreux, et a fait pleurer de rage d’autres Nigériens. En fait, sa force ou son intelligence politique aura été de faire de l’adversaire d’hier l’ami d’aujourd’hui, d’où cette impression de versatilité que certains lui reprocheront au crépuscule de sa vie. Or, l’homme a donné le meilleur de lui-même pour l’instauration, la consolidation et la défense de la démocratie au Niger, de 1990 à sa mort, au prix de nombreuses privations.
Si son nom est associé pour l’éternité au combat démocratique, on retiendra qu’il a mené ce combat avec brio et truculence. Grand tribun, redoutable débatteur à la mémoire phénoménale, tous craignaient ses bons mots et ses traits d’esprit qui n’épargnaient personne. On lui doit l’entrée dans le vocabulaire politique de mots comme « Wassosso », « Tchékanda » ou la vulgarisation du concept « PAAC » signifiant « parents, amis, alliés et connaissances » qui lui permirent de s’élever contre des maux comme la mauvaise gestion de certains de ses amis politiques de l’AFC, l’ethno-régionalisme et le népotisme.
L’homme n’avait pas sa langue dans la poche. Imaginez qu’un jour, il avait, avec malice, parlé d’une mésaventure survenue à des Nigériens dans un pays ami : « l’argent de la mission était fini ; j’avais fait jouer mes amitiés auprès de certains pays progressistes comme l’Algérie, la Chine populaire, Cuba et autres dont les ambassades nous invitaient à manger. Quand on en avait fait le tour, on était sans ressources. Heureusement que, dans l’une des multiples poches du gilet de Mahamane Ousmane, on a trouvé quelques dollars pour tenir jusqu’au retour au bercail », avait-il dit en substance. Un autre jour, devant témoins, dans l’hémicycle, il avait interpellé le célèbre homme d’affaires Zakay qui était d’un autre bord politique et qu’il avait l’habitude de vilipender : « j’ai besoin de 50.000 francs et je les veux maintenant ! ». Bref, il fallait être Jackou pour parler ainsi du Président de son Parti ou demander publiquement un service à un adversaire politique ! Mais, tel était l’homme !
En fait, le nom de Sanoussi Tambari Jackou, alors fonctionnaire international dans une institution régionale (la CEAO, ancêtre de l’UEMOA, si je ne m’abuse) avait commencé à faire vraiment parler de lui dans les années 1970 à la faveur de la triste célèbre « Affaire Mukozu ». Après une dizaine d’années de prison à Tillabéri et dans le bagne de Dao Timi, l’homme rentrera en grâce sous le régime du Général Ali Saibou qui le recevra et lui fera les honneurs d’une intervention à la télévision nationale. Quelques mois plus tard, il fera partie des grands cadres de l’Etat et autres commerçants richissimes qui quitteront le MNSD parti-Etat pour militer au sein des partis politiques nés après les évènements du 9 février 1990. C’est donc la Conférence Nationale Souveraine du 29 juillet 1991 au 3 novembre 1992 qui le révèlera au grand public.
Sanoussi Tambari Jackou servira, au titre de la Convention Démocratique et Sociale (dont il était l’un des 18 membres fondateurs), d’aiguillon à la lutte grâce à son verbe haut en couleurs, sa truculence même ainsi que sa dénonciation et sa condamnation de tous les abus des régimes précédents. Bref, Sanoussi Tambari Jackou était « l’enfant terrible » de la politique nigérienne, le cauchemar de tous ceux qui ne marchaient pas sur le droit chemin.
En récompense de ses efforts, il fut élu premier vice-président du Haut Conseil de la République, le parlement de Transition. Elu député national sous la bannière de la CDS Rahama, il siégera au bureau de l’Assemblée nationale où, avec Bazoum Mohamed, Hassoumi Massoudou, Alat Mogaskia et quelques autres tribuns de l’Alliance des Forces du Changement (AFC), il mènera un combat sans merci contre ses amis d’hier et d’aujourd’hui qui contrevenaient à ce qu’on n’appelait pas encore la « bonne gouvernance ».
De l’éclatement de l’AFC en 1994 au gouvernement de cohabitation dirigé par Hama Amadou, il se battra aux côtés de Mahamane Ousmane pour « sauver les meubles ». Rien n’y fit : le Colonel Ibrahim Baré Mainassara vint mettre au pas tout ce beau monde qui se chamaillait. Dans la foulée, Sanoussi Tambari Jackou fut nommé ministre d’Etat en charge de l’Enseignement Supérieur où, là encore, il surprit tout le monde en faisant écouter à des étudiants une conversation téléphonique qu’il avait avec le Président Baré quant à la satisfaction de leurs revendications du moment!
Ayant créé le Parti Nigérien pour l’Autogestion (PNA Al Oumma), il sera regretté par ses camarades de CDS mais multipliera les alliances politiques jusqu’à donner le tournis à nombre de ses amis. Après un troisième mandat de député acquis grâce aux voix du PNDS, il perdit la confiance de ses électeurs et fut « repêché » à la Présidence de la République par Issoufou Mahamadou, qui le garda dix ans durant comme Ministre-Conseiller, avant d’être reconduit par le Président Bazoum comme « Conseiller transversal » jusqu’à sa mort. Même à ces postes, il prendra fait et cause pour la veuve et l’orphelin, les victimes de tous les abus, et dira son fait au Prince comme ce jour où il demanda publiquement à l’ancien Président Issoufou Mahamadou de libérer les prisonniers politiques de son régime.
Economiste, enseignant, homme politique, directeur-fondateur de l’hebdomadaire « La Roue de l’Histoire » et même auteur de livres (qu’il ne m’a pas permis de présenter aux éventuels lecteurs),
Sanoussi Jackou aura, jusqu’au bout, fasciné mais aussi dérouté ses concitoyens. Dérouté ? Oui ! Car, cet homme d’une intelligence supérieure pouvait décontenancer son interlocuteur. Comme ce jour de 1994 ou 1995 où, après qu’on nous eut présenté l’un à l’autre en pleine campagne pour les législatives anticipées, il me dit : « mais, je ne t’ai jamais vu ». A quoi je répondis que la CDS Rahama n’est pas un parti groupusculaire où tous les militants devraient se connaitre. Il resta bouche bée, pour la première fois peut-être. Ou comme cet autre jour où une jeune journaliste, Rabiba Aboubacar Bouzou était allée l’interviewer à la Nouvelle imprimerie du Niger et à qui, dans une curieuse crise de mysticisme, il révèlera qu’il est un « Bourhananlah », un titre religieux compris entre Ayatollah et Hadjoteslam !
Etait-ce le début de la fin ? L’histoire en jugera ! Toujours est-il que Sanoussi Tambari Jackou rejoint dans l’au-delà son ennemi intime, le Professeur André Salifou, avec lequel et quelques autres, comme dans une pièce de théâtre, il nous a servi les plus belles joutes de notre vie politique.
Repose en paix, combattant de la liberté !
Source: Nigerdiaspora